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Sur l’Adamant – Critique : Et vogue le navire

Dernière mise à jour : 25 mai 2023

Un homme aux cheveux poivre et sel entonne La Bombe humaine (Téléphone, 1979) avec la complicité d’un guitariste laissé hors-champ. Sa dentition est émaillée, ses cheveux sont coupés courts, sa silhouette est frêle. Son élocution parfois abrupte et sa voix éraillée emplissent la pièce d’un chant oscillant entre l’extrême fragilité et l’irrévocable puissance d’une injonction lancée au monde : La bombe humaine, c’est toi, elle t’appartient / Si tu laisses quelqu’un prendre en main ton destin / C’est la fin.


C’est ainsi que s’ouvre Sur l’Adamant, le dernier long-métrage du célèbre documentariste français Nicolas Philibert (Être et avoir, 2002 ; Le Pays des sourds, 1992 ; Nénette, 2010 ; De Chaque instant, 2018) et lauréat de l’Ours d’or à la 73ème Berlinale. Avec Sur l’Adamant, Philibert continue d’explorer les thèmes qui lui sont chers : l’expression des minorités et un rapport au réel comme en biais. Le cinéaste retrouve également l’univers de la psychiatrie et des troubles mentaux, qu’il interrogeait déjà dans La Moindre des choses (1997) et pour lequel il poussait les portes de la clinique psychiatrique de La Borde.


L’Adamant est un centre de jour qui accueille des adultes souffrant de troubles psychiques, dans une dynamique positive et de partage. Véritable bâtiment flottant dissimulé sous le pont Charles de Gaulle, on y accède par un discret ponton – chemin direct pour un îlot de paix au cœur de l’assourdissant vacarme parisien. Les âmes bancales et un peu ballotées par les vagues qui s’y croisent sont nombreuses et singulières : les parcours, les ethnies et les pathologies s’entremêlent. C’est peut-être d’ailleurs ce qui confère toute sa puissance au film : la pluralité des paroles qui composent le film. Qu’il s’agisse de François, le fan de rock qui se prenait pour Jésus, de Frédéric, véritable dandy persuadé de sa parenté avec Van Gogh, de ce jeune homme au regard malicieux que les grands hommes maigres vêtus de noir effraient parce qu’ils lui évoquent les pigeons, ou de cette femme passionnée de danse qui voudrait réveiller les corps depuis trop longtemps endormis des patients qu’elle côtoie. Et ce sont bel et bien « ces acteurs qui ne comprennent pas qu’ils sont des acteurs » qui nous offrent ici une autre expérience du monde, dans un constant enchevêtrement de délire et de lucidité, de création et de trouble mental, où l’art est central, presque vital. Car sur l’Adamant, ça trifouille, ça cherche, ça se perd pour mieux se retrouver, ça se noue et se dénoue, ça fuse, ça explose, et de la poésie jaillit à chaque fin de phrase, sur chaque centimètre de peau, au coin de chaque sourire, au bord de chaque plan.


On reste toutefois dans l’attente d’une rencontre entre filmeur et filmés. On aimerait que quelque chose se passe, mais on reste sur cet amer sentiment que la caméra a échoué à saisir la poésie du lieu et des âmes qui l’habitent. On aurait apprécié en savoir plus sur ce lieu si atypique qui donne son titre au film, et sur le rapport qu’entretiennent patients et soignants avec son architecture. Hormis quelques plans qui ouvrent et clôturent le film, on n’en sait finalement assez peu.

Mais en laissant la souffrance au bord du cadre pour ne pas tomber dans l’habituelle représentation de nos institutions psychiatriques, et si l’épure de la mise en scène confine parfois à la froideur, Philibert réussi néanmoins à peindre les contours d’un univers où folie et normalité entrent sublimement en résonance.

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